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Channel: Union pour la Méditerranée – Observatoire de la vie politique turque
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Le processus d’adhésion de la Turquie: entre lenteur des réformes et manque de cohérence de l’Europe

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Le 27 mars 2011, Egemen Bağış, ministre aux Affaires européennes turc et négociateur en chef avec l’UE depuis début 2009, a participé à la conférence « La Turquie, la politique de zéro problèmes et l’UE » dans le cadre du Forum de Bruxelles organisé par le German Marshall Fund, think-tank américain. Il a affirmé à cette occasion qu’alors même que les peuples de l’Afrique du nord et du Moyen-Orient s’inspiraient de la Turquie, l’Union européenne décourageait le pays candidat dans le processus de réforme.

Le Parlement européen avait adopté le 9 mars 2011 une résolution préparée par son rapporteur Ria Oomen-Ruitjen (députée néerlandaise) concernant le rapport de 2010 sur les progrès accomplis par le pays sur la voie de l’adhésion à l’Union Européenne. Ce texte met l’accent sur la lenteur du processus de réforme qui permettrait à l’État candidat d’avancer dans le processus de négociation initié en octobre 2005. En effet, sur les trente-cinq chapitres qui structurent le projet d’intégration, treize seulement ont été ouverts et un seul a été bouclé. Si les députés européens se félicitent de l’adoption par référendum le 12 septembre dernier d’amendements à la constitution turque visant à la rendre plus démocratique et conforme aux critères d’adhésion, ce rapport est désigné comme l’un des plus critiques jamais édictés à propos de la candidature de la Turquie. Sont visés l’impasse de la question chypriote, le manque de dialogue entre les partis politiques turcs, et la remise en cause de droits fondamentaux notamment les atteintes à la liberté d’expression et des médias comme en témoignent les récentes arrestations de journalistes dans le cadre de l’affaire Ergenekon.

Cependant, Hélène Flautre, la présidente de la commission parlementaire mixte UE-Turquie, s’est élevée contre la position de certains États-membres qui par leur attitude bloqueraient les négociations. Elle a déclaré

« inadmissible et intenable pour l’UE que des sanctions unilatérales de la France ou de Chypre non seulement décrédibilisent les instruments de la politique d’élargissement mais s’avèrent également contreproductives à la résolution de la question chypriote. ».

En effet Nicolas Sarkozy avait annoncé dès son élection 2007 qu’il poserait son veto sur cinq chapitres du projet d’intégration car leur ouverture impliquerait inéluctablement l’adhésion pleine et entière de la Turquie à l’Union Européenne, ce a quoi il est fermement opposé, tout comme la chancelière allemande Angela Merkel. Le chef de l’État français considère en effet que la Turquie ne fait pas partie de l’Europe géographiquement, et promeut plutôt l’idée d’un « partenariat privilégié avec l’Union Européenne », comme celui mis en place dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, organisation intergouvernementale à vocation régionale fondée en 2008 sous l’impulsion de la présidence française de l’Union européenne. Nicolas Sarkozy a réaffirmé cette position lors de sa visite officielle à Ankara le 25 février dernier, et a déclaré dans une interview au quotidien turc «Posta» parue le même jour:

« je reste convaincu que la Turquie et l’UE doivent entretenir des relations aussi étroites que possible, sans aller jusqu’à l’intégration, qui ne profiterait en réalité ni à la Turquie, ni à l’Union européenne« .

Cette visite, la première d’un chef de l’État français depuis celle de François Mitterrand en 1992, était très attendue: le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, avait déclaré la veille sur la chaîne ATV: « j’ai mis de nombreuses fois en garde M. Sarkozy sur cette question. Nous lui avons dit que son attitude concernant la Turquie est totalement erronée et nous allons l’interroger sur ce point« . Ce dernier a ainsi suscité le mécontentement des autorités turques, qui auraient préféré le recevoir plus longtemps (on parle de « visite éclair » car elle n’a duré qu’un peu plus de cinq heures) et en tant que président français et non pas du G20.

Le journal turc «Cumhurriyet» a rapporté dans un article du 25 février 2011 la vive discussion qui a eu lieu entre le président turc Abdullah Gül et son homologue français:

«Notre opinion publique pense que vous jouez avec nous sur l’adhésion, ce que je crois personnellement d’ailleurs» a lancé le premier, en poursuivant «nous sommes décidés à continuer sur la voie de l’UE malgré vous».

Nicolas Sarkozy aurait rétorqué que ce sont les peuples européens qui ne veulent pas de la Turquie dans l’Union Européenne, en s’appuyant sur de récents sondages effectués en France, en Allemagne ou encore en Espagne, et qui montreraient qu’une partie importante de l’opinion publique dans ces pays se prononcerait contre l’adhésion turque, en cas de referendum. Il aurait ajouté

«d’autres leaders européens sont contre, ils le disent porte fermée. Moi je le dis devant vous»,

ce qui aurait conduit le président turc à conclure qu’ils ne pouvaient pas se convaincre mutuellement.

A la suite du Président français,et dans le contexte des tensions entre Paris et Ankara liées à la crise libyenne, le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, Pierre Lellouche, s’est rendu en Turquie, du 23 au 25 mars 2011. Il a déclaré à la presse, lors de cette visite, qu’il fallait  «arrêter de faire porter à un seul pays les conséquences d’une situation très compliquée», et a estimé que la Turquie ne devait pas frapper la France d’un «ostracisme particulier» lié au blocage des négociations d’adhésion.

Il semble ainsi que l’idée d’une alternative au statut d’État-membre pour la Turquie soit de plus en plus envisagée au sein de l’Union Européenne. Ce qui reste absolument hors de question pour Egemen Bağış qui considère cette proposition comme contredisant toute logique. Celui-ci a tenté de faire évoluer la position des autorités françaises, le 6 avril 2011, lors de sa visite à Paris et de convaincre de la pertinence de la candidature turque. Il a de plus présenté celle-ci comme une chance pour l’Union Européenne pour promouvoir un islam modéré, au moment où dans certains pays est «agité» le thème de l’immigration et de l’intégration des minorités musulmanes qui, a-t-il rappelé, représentent dans plusieurs États-membres jusqu’à dix pour cent de la population totale.

A l’heure où la Turquie est parfois regardée comme une source d’inspiration pour la transition démocratique des pays du sud de la Méditerranée, il serait donc nécessaire, comme le revendique Hélène Flautre, que les décisions prises à tous les niveaux au sein de l’Union Européenne reflètent la fiabilité, le sérieux et la loyauté du processus de négociation existant.


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